"Entre deux mondes" d'Olivier Norek (Editions Michel Lafon): le livre de l'(autre) Jungle

Ce sera un coup de cœur pour ce polar made in Norek, qui cogne encore une fois en plein dans le mille en nous plongeant dans la dureté de la Jungle de Calais; et au-delà du roman, nous ouvrir les yeux sur la réalité de cette violente absurdité construite en partie de nos propres main.

Pitch (4ème de couv)
"Adam a découvert en France un endroit où l'on peut tuer sans conséquences."


(Je crois que c'est le pitch le plus court de l'histoire de ce blog)

Impossible pour mon ciboulot tordu de lectrice de ne pas avoir pensé à Les larmes noires sur la terre de Sandrine Collette en lisant cet Entre deux mondes. Deux histoires pourtant complètement différentes. Alors quoi? Alors cette casse et cette Jungle. Alors ces mêmes lieux de non-droit où se retrouvent entassées des personnes qui n'aurait jamais penser en arriver-là, qui n'imaginaient pas s'exposer à autant de violence et qui doivent lutter pour ne pas devenir fou et/ou pour ne pas y laisser leur peau.
Avec l'énooooorme différence que côté Collette, on était dans un roman "d'anticipation", dans cette casse auto d'un genre presque steampunk. Et qu'en refermant son livre, le lecteur et les héroïnes en avaient bien bavé, mais on se rassurait en se disant que cela n'existait pas (encore!)

Alors que côté Norek, la fiction est rattrapée par une réalité féroce et l'avertissement est donné dès le début du roman par l'auteur: "Face à la violence de la réalité, je n'ai pas osé inventer. Seule l'enquête de police, basée sur des faits réels, a été romancée". L'auteur s'est en effet immergé dans l'environnement de la Jungle en rencontrant les flics, les associations, les journalistes, les habitants et les migrants de Calais pour écrire ce roman aux relents de vérité. Adam et Kilani ne sont que deux histoires de migrants parmi 10 000. Deux hommes dont l'auteur évite l'écueil du manichéisme. Ce ne sont ni des agneaux, ni des loups, le curseur entre ces deux extrêmes se déplaçant en fonction de leurs besoins, de leurs espoirs.

Sans jamais sombrer dans le pathos car le rythme du roman ne nous en laisse pas le temps, c'est sous la lumière crue de l'éclairage à la Norek et par les yeux d'Adam et Kilani  que nous découvrons l'organisation de la Jungle, sa loi interne, sa violence, son indignité. Et par les yeux des flics et des associations,  leurs difficultés de faire face à l'afflux de personnes, à leur culpabilité, à la violence, à la mort: surtout ne pas trop intervenir, ne pas trop les aider et ne pas trop les arrêter pour ne pas trop risquer d'en faire des citoyens français. Juste en faire des hommes entre deux mondes, des morts-vivants coincés dans un sas dans lequel aucun d'entre nous ne survivrait une journée sans s'écrouler... de honte, probablement!

Entre deux monde est un polar-témoignage qui réussit le pari de remettre un peu d'humanité derrière le mot "migrant" et les images qui ont pu défiler en boucle à la télé. 
Une lecture percutante en plus d'être une histoire captivante. Bravo Mr Norek!

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