"Avant que naisse la forêt" de Jérôme Chantreau (Editions Pocket): prendre racine

Vaporeuse. Voilà l'état dans lequel je me trouve au terme de cette lecture. Une sensation aérienne et agréable... et pourtant  étrange, comme cette histoire teintée de légende, fantômes et folie douce. La plume singulière de Jérôme Chantreau y est pour beaucoup dans cet enivrement quasi mystique, qui, même s'il pourra dérouter certains lecteurs, ne les laissera en tout cas pas indifférents. 


Pitch (4ème de couv):
"Elle vivait là. Seule. Au milieu des bois. Libre ou prisonnière? Sa mère.
Sa mère dont les cendres reposent désormais dans une urne, entre ses mains. Mais Albert ne peut se résoudre à partir. Reprendre sa vie parisienne, loin de cette maison, de cette forêt, de la Mayenne où il prend racine. Dans ces taillis de souvenirs, frondaisons de légendes, les voix du passé lui murmurent de rester. Elles l'obsèdent et l'ensauvagent. Le ravissent et le happent. Rien qu'une mère, son fils, et l'appel des grands arbres..."




Ce livre résonne. Il résonne déjà avec le second roman de cet auteur, Les enfants de ma mère, qui avait déjà eu un effet hypnotique sur moi. Le rappel à cette rue de Naples, cette vie parisienne antérieure à l'appel de la forêt, cette femme "année 70-80", bohème, qui se retrouve seule, avec ce pouvoir brûlant de prendre enfin des décisions pour elle et ses enfants alors qu'elle n'avait jusque là que le rôle "d'épouse de". Françoise est une déclinaison possible de Jacqueline et inversement. Tout comme ce fils, élevé par des femmes (mère, sœur, tante), qui développe sa part de féminité, le faisant se sentir un peu à part, presque honteux, avant d'en tirer une véritable force. Là encore Albert est une déclinaison de Laurent et inversement. Des histoires miroirs. 
Le roman résonne aussi en nous et pose la question de nos racines. Des chansons qu'écoutaient nos parents et qui nous ont bercé. De ces vieilles maisons où nous avons joué et appelé les fantômes par des séances de spiritisme improvisées entre cousins. Des odeurs de granges, de chats, de terre, qui s'accrochait à nos vêtements.
Des souvenirs universels qui rappellent les rites et étapes de nos vies, de l'enfance à l'âge adulte, de l'amour au deuil. Une succession de madeleines de Proust.

Alors, cet Albert est-il fou? A s'allier avec la forêt pour porter le deuil de sa mère et s'échapper des bornes sociales? Est-ce lui qui rêve de voix feintes ou est-ce nous autres, saturés de bruits et d'images, qui ne savons plus les entendre?  Qui est le plus fou? Le chasseur-cueilleur ou l'homme moderne? Et d'ailleurs doivent-ils s'opposer?

Oui, il nous emporte loin ce roman, pour qui veut bien se laisser porter... car je sais déjà que certains se montreront résistants à l'étrangeté de cette histoire. 
Pourtant, il suffit de se laisser entêter par le style de l'auteur qui joue avec les mots, les associe pour mieux en faire ressortir leur musique. Et la petite mélodie de l'écriture de Jérôme Chantreau va alors s'imprimer aussi fort dans votre cerveau que les chansons dont il est question dans le roman. Vous serez enfin prêts pour l'enracinement, porté au paroxysme par  le personnage d'Albert.
Que le premier qui ne sifflote pas en finissant ce roman me jette la première pierre. 




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