La carte postale" d'Anne Berest (Editions Grasset): un travail de mémoire

La carte postale est un bouleversant témoignage d'Anne Berest sur l'Holocauste à travers l'histoire de sa grand-mère Myriam qui sera la seule survivante de la famille Rabinovitch. Un roman posant la question de la mémoire transgénérationnelle qui fait ressurgir le poids des traumatismes et des non-dits sur les générations futures. Et peut-être davantage lorsqu'on est juif.

Pitch (4ème de couv):
"La carte postale est arrivée dans notre boîte aux lettres au milieu des traditionnelles cartes de vœux. Elle n'était pas signée, l'auteur avait voulu rester anonyme. Il y avait l'Opéra Garnier d'un côté, et de l'autre, les prénoms des grands-parents de ma père, de sa tante et de son oncle, morts à Auschwitz en 1942. Vingt ans plus tard, j'ai décidé de savoir qui nous avait envoyé cette carte postale, en explorant toutes les hypothèses qui s'ouvraient à moi.
Ce livre m'a mené cent ans en arrière. j'ai retracé le destin romanesque des Rabinovitch, leur fuite de Russie, leur voyage en Lettonie puis en Palestine. Et enfin, leur arrivée à Paris, avec la guerre et son désastre.
J'ai essayé de comprendre pourquoi ma grand-mère Myriam fut la seule qui échappa à la déportation. Et d'éclaircir les mystères qui entouraient ses deux mariages.
Le roman de mes ancêtres est celui d'une quête initiatique sur la signification du mot "Juif" dans une vie laïque."


Le 30 avril dernier, La carte postale a remporté le premier prix du Goncourt version américaine. Qu'Anne Berest remporte ce prix c'est tout un symbole. Un pont entre passé et présent. Car ses ancêtres, les Rabinovitch auraient pu fuir en Amérique, la main leur avait été tendue. Et seraient peut-être encore vivants s'ils l'avaient fait. Mais ils ont pris la décision de rester en France, refusant de croire à la haine qui enflait. Ce leur fut fatal. 

Alors oui, un sacré symbole que cette reconnaissance. Un de plus parmi toutes ces rappels du passé qui s'immiscent dans les pensées contemporaines de l'auteure qui partage sa quête sur ses origines juives avec sa mère et sa sœur.  Alors même qu'elle ne s'était jamais posée la question de ce que cela signifiait d'être juif. Qu'elle ne se définissait pas au travers d'un peuple, d'une religion. 

Tout part de cette carte postale adressée au domicile de la mère d'Anne Berest, Lélia. Un message du passé qui vient leur jeter à la figure les prénoms de leurs ancêtres déportés: Ephraïm, Emma, Noémie, Jacques. L'occasion de mettre en mots tout ce qui était tu jusque là. Et pour Anne de poursuivre un travail d'archive monumental débuté par Lélia. 

Au-delà de raconter la Shoah à travers son histoire familiale, ce qui rend ce roman si fort ce sont tous les non-dits ou non-conscientisés qui ressurgissent du passé pour venir toucher si fort l'auteure: se rendre compte qu'elle a étudié (sans le savoir) dans la même université que sa grand-mère et sa sœur, qu'il y a des évènements importants et/ou traumatisants qui se déroulent à la même date sur plusieurs générations. Jusqu'à avoir parfois la sensation suffocante que les traumatismes se sont transmis de génération en génération et qu'il n'est pas possible de s'en affranchir. Au point d'arriver à penser que porter le deuxième prénom d'une déportée ou d'une survivante implique d'endosser un peu de son fardeau et de son destin. 

Superbe roman qui prend au tripes, je ne peux que vous recommander sa lecture. Pour ne pas oublier. Jamais. 
(Oui, c'est un coup de cœur et une Baignoire d'Or)



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